Suite de ma balade irlandaise

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En me réveillant à Enniskillen le dimanche 6 août j’ai entendu la pluie tombée dans la rue. Ou plutôt j’ai entendu ce bruit particulier que font les roues des voitures en roulant sur le bitume trempé. En tout cas j’ai su qu’il pleuvait. Je serais bien restée tranquille dans ce grand lit confortable de l’hôtel, mais il me fallait rendre les clefs de la chambre et surtout rejoindre le Connemara.

J’ai marché dans la grisaille légèrement mouillante jusqu’à la sortie de la ville. J’aime avoir à marcher un minimum, actionner mon corps qui finalement se déplace beaucoup mais bouge très peu, en voyage. Or j’ai besoin de bouger, d’activer mon métabolisme spontanément ralenti (cœur très lent, faible tension artérielle); sans ça je me sens mal.

J’ai donc marché un bon moment puis ai posé mes sacs (le gros et un petit où je met mon appareil photos, mes papiers, ma gourde, des aliments quand j’en ai) et ai tendu le pouce. Là encore les questions : est-ce que ça va marché un dimanche ? Peut-être que la pluie vont les faire s’arrêter plus facilement ? Assez rapidement un voiture s’est arrêtée, conduite par une femme qui allait jusqu’à un village au niveau de la frontière avec l’Irlande républicaine. Elle habitait encore plus loin mais ne voulait pas rouler trop longtemps car elle avait travaillé toute la nuit et était fatiguée. Elle m’a posée les questions un peu habituelles et je lui ai donc raconté mon voyage, la ferme, la traversée de l’atlantique bientôt, etc. Ca l’a beaucoup intéressée, elle me demandait des détails, mon aventure la réveillait. Les personnes que je croise sont surprises et intéressées par mon histoire ; je sens que ça les concerne aussi. Même si ce genre de démarche est concrètement loin de leur vie en ce moment. Parce qu’après tout, qui n’a jamais imaginé de tout plaquer, là, comme ça? Je l’ai souvent fait, auparavant. Mais je me souviens aussi que c’était comme imaginer ce que ça ferait d’aller dans l’espace, ce genre de truc impossible parce que. Parce que les contraintes, quelle qu’elles soient, avaient une couleur de réalité obligatoire. Alors qu’il n’en est rien, dans le fond.
Les personnes que je croise voient peut-être avec mon histoire que ça peut se faire de tout vendre et partir en balade dans le monde. Peut-être que la libération que je vis libère aussi une part d’eux-même et cet allègement les rend joyeux. C’est ce que je me dis, devant tant d’intérêt, de joie approbatrice quand je raconte ma démarche.

Paysage de bord de route pendant que je tends le pouce à Belcoo

La dame m’a laissée à la sortie de Belcoo et, avant que je ferme la porte, elle a ouvert sa boîte à gants pour y chercher une carte, parce qu’il fallait absolument que j’ai une bonne carte d’Irlande pour trouver mon chemin. Je lui ai dit que j’avais une carte avec mon téléphone mais je crois que c’était trop loin de ses habitudes pour qu’elle imagine à quel point les applications offrent des services performant. Donc, avec précipitation parce qu’elle était simplement arrêtée sur la route et non garée, elle m’a fourguée une vieille carte entre les mains en étant désolée parce qu’elle était un peu déchirée au niveau des plis. J’ai pris la carte en la remerciant parce que ce n’était pas le moment d’aller plus loin dans les explications et puis elle est repartie. Cette carte routière de l’Irlande entière était un peu déchirée aux plis, certes, mais elle était magnifique et ne semblait pas récente. J’ai cherché sa date de parution : 1982. J’étais au bord de la route avec une précieuse carte collector entre les mains, qui ne me servirait pas, sauf peut-être pour un cadeau sympa à quelqu’un qui aime les vieilles cartes. Ca c’était une idée.

C’était un bon endroit pour le stop, j’ai donc tendu le pouce. Plusieurs voitures sont passées, et comme l’heure du déjeuner approchait je me suis à nouveau demandée si ce serait aussi facile à présent. J’étais à une intersection, une route menant vers ailleurs sur ma droite. Beaucoup de voiture allaient et venaient par cette route. Dans le lointain j’ai entendu un fort bruit de moteur de voiture roulant a priori sans pot d’échappement et en même temps j’ai eu spontanément la réflexion « ça c’est pour moi ». Ca m’a fait rire aussi sec, mais il est vrai qu’en faisant du stop on est facilement pris par les gens assez décontractés pour avoir des voitures pourris. En plus du bruit de moteur il y avait le bruit métallique du tuyau d’échappement trainant au sol sous la voiture. Elle est arrivée à fond la caisse par cette route à ma droite pour tourner dans la direction opposée à la mienne, vers le village. Je me suis dit qu’elle allait sans doute illico au garage et effectivement elle a tourné dans la station service un peu plus loin. « Et non Mary, perdu, c’est pas pour toi ! »
Quelques voitures ont défilé, puis la voiture pétaradante est revenue dans ma direction, toujours à fond la caisse. J’ai pensé que la réparation n’était pas possible, du moins à ce moment là (un dimanche) et qu’elle allait retourner par où elle était venue mais non, elle a pilé devant moi : c’était bien mon nouveau carrosse ; elle avait sans doute tout simplement fait le plein de carburant à la station service.

Sur un muret à l’entrée d’un jardin

A l’intérieur, un jeune couple décontracté sympathique et un pitbull qui s’installe sur mes genoux dés qu’on a redémarré. En trombe. J’ai halluciné tout le voyage. Bon, j’ai sympathisé avec le pitbul, c’est vrai que ça peut être très câlin et ce n’était pas un mal dans cette ambiance un peu folle. Faire du stop ce n’est pas très risqué, mais être dans une voiture ça l’est beaucoup plus, surtout quand elle est conduite à fond la caisse, même dans les virages. A un moment ils m’expliquent qu’on va faire un détour pour éviter je ne sais quoi. Je comprend que l’état de la voiture n’est pas étrangère à cette utilisation des ribins, comme on dit en breton (petites routes et chemins). Peut-être qu’il s’agissait de la frontière entre l’Irlande du nord et l’Irlande du sud ? Toujours est-il que si elle existe matériellement par une quelconque présence douanière ou autre je-ne-sais-quoi je n’ai rien vu. Alors c’est peut-être ce qu’on a évité, en roulant à 90 km/h sur des routes à peine plus large que la voiture. On a également évité de justesse au moins un enfant et deux chiens, qui se sont réfugiés dans le talus.
Comment on peut être calme et apparemment pacifique, tout en roulant comme un assassin potentiel ?
Je ne sais pas.

Ils m’ont laissée à l’entrée de Manorhamilton, une petite ville plutôt jolie que j’ai mise en photo sur Istagram/Facebook. Je l’ai traversée pour rejoindre la sortie où j’ai retendu le pouce en espérant arriver à Sligo au prochain arrêt.
Je n’ai pas attendu longtemps ; un homme autour de la quarantaine s’est arrêté, il allait à Sligo, il s’appelait James, lui aussi (voir l’article D’anges et de la route). Très sympathique et causant. Il m’a raconté des trucs sur Sligo, l’Irlande, montré telle cascade dans le paysage, fait rire avec des histoires vécues racontées avec beaucoup d’humour. Un bon moment.
A Sligo il a fait un détour pour me laisser juste devant la gare routière pour que je puisse regarder les horaires des bus et avoir le choix. Vraiment sympa. J’ai eu droit aux « Take care », « Good luck », « Enjoy » que l’on me dit souvent en me laissant quelque part. Bye James.

William Butler Yeats, poète écrivain originaire de Sligo, prix nobel de littérature en 1923

Sligo est une assez grande ville. La gare routière était proche d’une quatre voies allant vers le sud, ma direction. Mais je me voyais mal faire du stop à cet endroit. Parmi les lignes de bus une allait vers Galway au sud. J’ai regardé les étapes intermédiaires et repéré une petite ville de laquelle partait une route vers l’ouest, vers le Connemara. Le prochain car était à 14h00, j’ai alors décidé de le prendre jusqu’à Claremorris, la ville en question. Il était 12h30, j’avais le temps de faire mes petites courses et de déjeuner.

Dans le car j’ai regardé avec mon téléphone où je pourrais passer la nuit. La petite ville de Ballinrobe me semblait pas mal, et apparemment il y avait un hôtel pas très cher.
Quand je suis arrivée à Claremorris j’ai à nouveau marché jusqu’à la sortie de la ville (plus on est hors d’une ville plus on est pris facilement, si je peux je vais après les dernières maisons). J’étais un peu fatiguée, le temps était maussade alors moi aussi, j’avais envie de me poser dans une chambre tranquille. Comme d’habitude je n’ai pas attendu très longtemps, un jeune homme s’est arrêté. Il allait à Ballinrobe rejoindre une fête familiale pour l’anniversaire de son oncle, il s’appelait Patrick. On a bien discuté, tranquillement. Il m’a parlé de ses voyages en France, Espagne, Panama, etc. Il m’a demandé où j’allais loger à Ballinrobe alors je lui ai dit le nom de l’hôtel que j’avais repéré sur internet : pour lui il ne faisait plus que restaurant et ne proposait plus de chambre. Il a alors appelé sa mère pour vérifier, elle a confirmé et il lui a alors demandé l’adresse d’un B&B où je pourrais aller. J’étais fascinée par ce qui se passait là encore. L’aide que je recevais sans lever le petit doigt. Ah si, j’avais levé le pouce. Mais depuis j’étais confortablement assise dans une voiture qui allait me déposer devant ma chambre.

En fait le B&B en question était complet, mais la logeuse a appelé à un autre endroit et il y avait de la place : Patrick m’a conduit à destination. Merci, merci, merci.
J’ai pu poser mon sac dans une belle chambre toute propre, à 40 euros la nuit, petit déjeuner compris (full breakfast irlandais, je précise). Bon ok, il n’y avait pas la bouilloire électrique, mais l’eau très chaude du robinet a suffit à me faire un thé avec les sachets que je transporte et la tasse de voyage que mon père m’a offert avant mon départ (une tasse métallique télescopique qui se range dans une pochette en cuir, genre truc de pèlerin).
J’avais encore besoin de faire des courses. J’en fais souvent parce que j’achète des feuilles vertes (épinard, salade, roquette, kale, etc) qui ne se conservent pas bien du tout dans mon petit sac à dos alors une dose à la fois. Et puis je crois que ce temps maussade, la fatigue, me donnait une envie de chocolat. Et j’avais envie de marcher un peu.

Ballinrobe dans la grisaille ; je ne prend pas le temps de retravailler mes photos pour le blog, seules celles d’Instagram peuvent avoir des filtres ou autres modifications.

Je suis donc ressortie en me motivant avec l’idée de bonne douche et de draps frais à mon retour. Pour une petite ville il y avait des boutiques plutôt sympas. Tout était fermé en ce dimanche (sauf les pubs/restaurant et le supermarché Tesco) alors je regardais les vitrines. L’ambiance était différente, un truc un peu indéfinissable, que j’aimais bien. Un truc Irlande de l’ouest on va dire. Je me suis arrêtée devant une agence immobilière pour regarder les offres et les prix. Pas très élevés en moyenne. Un vieil homme s’est approché et m’a dit je-ne-sais-quoi ; je lui ai répondu que j’étais française, de passage. Il m’a dit que le temps n’était pas terrible mais je lui ai dis que j’avais l’habitude de ce temps là et que ça fait aussi des jolis paysages. Ca lui a plu alors il m’a prise dans ses bras ; il sentait la bière, le pub n’était pas loin, on était dimanche en fin de journée. Il avait de beaux yeux bleus profonds, les cheveux argents, il aurait fait une très belle photo d’irlandais de l’ouest. Peut-être même qu’il s’appelait Kevin. Mais je n’ai pas demandé, je n’avais pas envie de creuser la situation ; je lui ai plutôt demandé la direction du magasin Tesco, même si je la connaissais. Il me l’a indiquée, et on s’est dit au revoir.
Dans le magasin j’ai remplacé le chocolat par une barquette de fraises irlandaises, un peu chères mais meilleures pour tout (mon corps, l’agriculture, le global change, l’autonomie alimentaire des régions, la vie dans les campagnes, le maintien des petits paysans, la lutte contre le chômage, la Nature, etc).
Pendant la soirée dans ma chambre j’ai regardé la télévision, ça faisait des mois que ça ne m’était pas arrivé. Une émission intéressante faisant découvrir la rivière Shannon, la plus longue rivière d’Irlande, qui passe par des lacs, une diversité de paysages et de nombreuses villes. J’ai aussi vu la fin d’une feuilleton qui se passait dans une prison pour femmes. C’est tellement bien fait ces trucs là que même sans comprendre la moitié il y a assez de suspens ambiant pour qu’on reste collé.

Campagne irlandaise fleurie

J’ai très bien dormi. Le lendemain je suis allée au breakfast avec un peu d’appréhension parce que je voulais tenter mon premier full breakfast et que même si j’avais envie de le prendre je culpabilisais : parce que normalement je ne prend pas de petit-déjeuner, je ne mange pas de viande issues d’animaux torturés, je ne fais pas de repas 100% acidifiant, j’ai du poids à perdre. Et je n’ai pas forcément tort sur certains points, mais sur d’autres oui, je crois. Alors mince, je voulais aussi voir ce que ça fait, mettre mes croyances à l’épreuve de l’expérience.
Ce matin là, assez tard pour rendre la chose plus acceptable à mon mental, j’ai donc pris une assiette avec deux œufs au plat, trois rondelles de black pudding (boudin noir), une petite louchée de beans et une poignée de frites. Plus deux toasts de pains complets et une mug de thé noir avec un peu de lait dedans (c’est imbuvable ce truc sinon). J’ai évité les saucisses et le bacon.
Et ben j’ai bien apprécié. Et après je me suis senti bien, mon ventre aussi, l’un ne va pas sans l’autre. J’ai noté. Faudrait-il que je me remette à la viande ?!
Toujours est-il que je suis contre la consommation des animaux torturés. Alors ce n’est pas facile comme situation, en voyage.
J’ai marché jusqu’à la sortie de la ville pour reprendre l’auto-stop et entrer enfin dans le Connemara. Un jeune couple venant de Dublin, en vadrouille pour le long week-end (ce lundi 7 août était férié en Irlande), allant visiter le village de Cong, m’a emmenée jusqu’à ce charmant village. Ils ont été très intéressés et encourageant envers mon voyage ; ils trouvaient cela super. J’ai fait un petit tour dans le village qui est très touristique du fait que c’est le lieu de tournage du film The quiet man (L’homme tranquille en français) avec John Wayne et Maureen O’Hara. Les boutiques, musées et décorations du village sont dédiés à ce moment historique du cinéma et du village de Cong.

Panneau à la sortie de Cong. J’apprendrais plus tard que le vrai début du Connemara pour les locaux est plus loin, au-delà d’une crête

Après mon petit tour je suis allée vers la sortie de la ville pour tendre le pouce. William (but call me Will) m’a embarquée, prenant lui aussi un ribin mais pour aller chez lui, pas pour éviter quoi que ce soit. Loupiote allumée dans ma tête quand on a quitté la route principale mais pas très forte parce qu’il inspirait vraiment confiance. Il était chef cuisinier et revenait du travail qu’il commence tous les matins à 6h : il prépare des petits déjeuners dans un hôtel de Cong.
Il s’est garé devant chez lui en pleine campagne en me disant que si je continuais à pied sur la petite route j’allais rejoindre la route pour Cliften un peu plus loin et que je pourrais apprécier une belle vue sur les montagnes du Connemara.
J’étais au Connemara.
Ca peut faire un peu gonfler de sa part de me larguer au milieu de nulle part mais 1) il m’a bien avancée et 2) j’ai pu marcher sur une jolie petite route déserte, face à une magnifique vue sur la campagne irlandaise comme on en voit sur les cartes postales. J’étais ravie.

Tigh na nog, le pays des fées, le pays de la jeunesse, où l’on est immortel. C’est aussi le nom d’un pub irlandais de Brest, alors j’ai tilté!

Arrivée sur la route principale j’ai refait du stop, dans un virage ou plusieurs voitures s’étaient arrêtées pour prendre des photos du paysage (qui était moins beau qu’un peu plus haut sur la petite route, mais ils ne le savaient pas). Pas beaucoup de chance de réussite dans ces conditions, alors j’ai attendu que les voitures repartent.
Peu de temps après, un homme avec son chien à la place passager s’est arrêté. Il n’allait pas très loin mais pouvait m’avancer une dizaine de miles ; c’est toujours, toujours bon à prendre.
Je suis montée derrière et nous sommes repartis.
En fait on est resté deux heures ensemble. J’ai eu droit à un petit tour operator jusqu’à Cliften, mon point de chute de la journée. Mémorable.

Il s’appelait Mickael (call me Mick) et son chien Sally. Il habitait une maison au bord d’un des lacs devant lesquels on est passé un peu plus tard. Son truc à lui, enfin à eux parce que son chien ne le quitte pas, c’est la pêche. Il a besoin de s’occuper et la pêche il peut y aller quand il veut, souvent, voir tout le temps. On s’est arrêté là où il aurait initialement voulu me laisser : un petit croisement au bord d’une rivière, avec un joli pont et un pub/café. Il m’a demandée si je voulais bien prendre un thé et ensuite il m’amènerait à Cliften. Je pense qu’au début il avait en tête de prendre son thé et lunch à cet endroit et ne pouvait pas m’amener plus loin, mais comme on discutait agréablement et qu’il avait le temps il a dû décider de continuer la route avec moi ensuite, si je voulais bien prendre le temps d’un thé.
Je ne me rendais pas compte des distances, j’ai accepté en toute simplicité. Par la suite au fil de la route je me suis rendue de plus en plus compte du cadeau qu’il me faisait : incroyable.
Il y avait une table en bois avec des bancs dehors et il m’a demandée si ça me convenait, comme ça le chien pourrait rester avec nous. Pas de soucis, au contraire ; il faisait beau et ça me plaisait bien de boire un thé dehors avec vue sur les montagnes du Connemara et un vieux pont en pierre devant moi.


Vue depuis la table où Mickael m’a offert un lunch

Je lui ai dit qu’il pouvait s’assoir et que j’allais commander mais ohlala, non, pas du tout, à moi de m’asseoir et à lui de commander dans ce lieu qu’il connaît bien.
Sally est toute jeune, 9 mois, et au premier coup d’oeil elle est border collie. Mais très vite on voit qu’elle n’est pas que ça : taille un peu plus grande, poils ondulés sur le dos. D’après Mickael elle a aussi du Labrador et du Husky.
Le serveur est arrivé avec deux théières de thé anglais bien noir, avec le pichet de lait pour faire passer ce jus, le sucre, un paquet de chips, une corbeille avec moutarde, worcester sauce, ketchup et des couverts et serviettes en papiers. Je me suis demandé ce qui allait arriver mais je n’ai rien dit.
Le paquet de chips était pour Sally. La fille vétérinaire de Mickael (j’ai du mal avec les surnoms) lui a bien dit de ne pas donner au chien du sucre ou autre cochonnerie ; il ne donne pas de sucre mais un paquet de chips de temps en temps, qu’il donne chip par chip, « Sally aime bien et elle va bien, regarde son beau poil ». C’est vrai.
Et puis deux grands croques-monsieur sont arrivés sur la table, avec tomates dedans et plein de cheddar. C’est là qu’il m’a demandée si je mangeais de la viande (du fait de la tranche de jambon), j’ai dit oui, et j’ai remercié avec un peu d’embarras parce qu’à la base je voulais juste un bout de route en voiture.
Mais en même temps les choses étaient tellement simples et spontanées, je sentais qu’il ne fallait pas aller à l’encontre de ça ; pourquoi ? Je suis à l’école du savoir recevoir, et je reçois, voyez comme je reçois. En échange j’ai mes merci, ma reconnaissance, un bon sourire. Ca fait pas suffisant souvent, croyez-moi, c’est pas évident. Et puis je me demande pourquoi. Pourquoi il m’offre un thé, un lunch ? Il est très simple et vraiment sympathique, rien qui puisse faire peur, même pas un semblant de drague, rien. Alors pourquoi ?
Je lâche prise comme je peux, et puis je savoure mon thé anglais, le sandwich au cheddar fondu, le soleil, le vieux pont de pierre, le Connemara qui dés le début s’avère être encore plus magique que je ne pensais.
On discute simplement, il me raconte des trucs sur la région, sur la route qu’on va prendre et des choses qu’on va voir. Pas la route du sud, celle du nord, plus belle, passant par Leenaun, Killmore abbeye, Letterfrack, etc.

Killmore abbeye, édifice et parc incroyable dans cette campagne irlandaise, avec une histoire romantico-tragique. Aujourd’hui c’est un couvent de bénédictines et un lieu de visite assez intéressante pour les milliers de visiteurs du Connemara

Et puis on reprend la route et je vois tout ça, plus les vallées et paysages rendus plus grandioses par la danse du soleil et des nuages qui fait des jeux de lumières sur le vert des versants. Un peu avant Cliften il prend à droite pour passer par Sky road, une route côtière qui permet de voir un superbe panorama de la côte ouest et des îles. Il me dit que comme ça je l’aurai vu, parce qu’à pied ce n’est pas vraiment faisable à cause des voitures qui défilent. Effectivement c’est bondé. Nous nous sommes arrêtés sur un petit parking en bord de route pour 1) faire pisser Sally qui réclamait depuis un bon moment, la pauvre et 2) bien profiter de la vue et prendre des photos. Autour de moi j’entendais parler toutes les langues. Avec l’affluence touristique internationale du Connemara qui comporte un bon pourcentage de français je me suis rendue compte qu’un des avantages à ne pas parler très bien la langue d’un pays est qu’en temps normal on entend aussi moins de conneries. Au Connemara j’étais moins en temps normal.
J’ai pris des photos, dont une de Mickael et Sally, et Mickael m’a prise en photo avec mon appareil, mais allez savoir pourquoi c’est là que la carte mémoire a commencé à déconner (ça lui arrive parfois) et je n’ai pas trace de ces photos. Celles que j’ai, uniquement du paysage, ont été prises avec mon iphone (j’essaie de penser à en prendre avec les deux appareils, l’iphone est plus pratique pour en mettre facilement en ligne sur Facebook et Instagram).

Bout de vue depuis Sky road

En même temps ça a rejoint mon sentiment intuitif que je ne dois pas forcément prendre les gens que je rencontre en photo. Que ce qu’elles et ils me donnent est ailleurs. Que l’image, la forme, le corps, le visage on s’en fout. Mon souvenir d’eux n’est pas là. Et je suis embarrassée à chaque fois que je prend quelqu’un en photo, alors c’est rare. Mais ça me fait bizarre de voir que la technologie de mon appareil flanche quand justement j’essaie de repousser cette limite là.
Et puis nous sommes repartis jusqu’à Cliften tout à côté. Je me demandais comment ça finirait cette virée généreuse, vraiment agréable et sympathique. Est-ce qu’il me demanderait quelque chose ?
Nous avons parcouru la rue principale pour trouver l’auberge de jeunesse dans laquelle j’avais réservé pour une nuit. Une fois trouvée il s’est arrêté un peu plus loin pour me déposer. Je suis sortie, l’ai remercié infiniment pour sa gentillesse et … il m’a coupée la parole en me disant timidement gêné « you’re welcome, no problem… you are très jolie ». Je lui ai serré la main avec un sourire de remerciement et il est reparti, tout simplement.
Voila. Le fait d’être considérée très jolie peut suffire à recevoir toute cette générosité pour le simple fait de passer un moment avec moi. Franchement, je ne sais pas trop comment le prendre. D’un côté j’étais rassurée de voir que tout ces cadeaux n’avaient pas compté comme un dû pour lui. Mais d’un autre côté il y avait là comme un sentiment d’incompréhension voire d’injustice et d’imposture pour moi ; en quoi avoir une gueule plaisante pouvait apporter quelque chose ? Si je ne lui avais pas paru jolie ça aurait été différent ? C’est un peu ingérable pour mon mental, qui de son côté ne me trouve pas terrible quand il me voit dans la glace.
Laisse tomber, il n’y a pas de problème, tout le monde est content, remercie. Oui, merci. Merci, merci Mickael, du fond du cœur. Merci l’univers, merci la vie.
Il était 15h seulement, il faisait toujours beau, Cliften (qui se prononce Clifden) résonnait de musique de rue, la vie était décidément très belle, ce jour-là.

Cliften, capitale du Connemara

Je ne vais pas continuer à raconter toute la suite avec autant de détails. Je voulais surtout partager mon aventure sur la route, ces jeux de rencontres et de surprises, témoigner de la gentillesse des gens et que quand on s’en remet au sort avec confiance il peut nous apporter des choses fabuleuses, qu’on n’aurait jamais imaginé.
Mais je vais quand même vous parler vite fait de mon séjour au Connemara. Parce qu’il a été vraiment chouette et simple grâce à une autre personne généreuse qui m’a accueillie quatre nuits et trois jours, gratuitement, via le site Couchsurfing : Colm Mcloughling.

Colm est un homme de 64 ans qui est né et a grandi au Connemara. Il a ensuite vécu une partie de sa vie à Londres avec sa femme et ses deux enfants mais ils sont revenus au pays, à Cleggan, sur la côte à l’ouest de Cliften. Colm est séparé depuis quelques années mais il partage sa grande maison avec sa fille et ses trois petits enfants. Sa fille (dont le mari travaille loin et n’est pas toujours là) occupe la vraie partie maison et Colm occupe la partie qui a été auparavant destinée à des chambres de B&B. Une chambre à été transformée en cuisine et une autre en salon ; reste deux grandes chambres avec salle de bain en suite chacune : une pour lui et une pour tout un bardas de vieux meubles et autre objets en tout genre, dont deux matelas simples empilés l’un sur l’autre et servant de lit aux visiteurs. J’ai donc dormi dans cette sorte de remise de brocanteur avec salle de bain privée. La maison entière de Colm regorge de vieilles horloges, vieilles lampes et autres bibelots qu’il achète sur des coups de cœurs, pour le plaisir de les regarder.

Campagne autour de Cleggan

Pendant la journée j’allais me balader, visiter des endroits sous ses conseils et le soir il préparait un dîner pour deux, cuisine simple et locale, et on discutait de plein sujets intéressants. J’ai ainsi pu déguster des beignets de poissons avec carottes et panais vapeur, apple pie avec custard, irish stew et cake de la voisine, maquereaux grillés et pomme de terre. Nous avons parlé de nos vies, de politique, du pays, de l’Irlande, du monde, de spiritualité, dans cette cuisine avec vue sur la baie de Cleggan.
Colm est tombé amoureux de moi le premier jour et il me disait que ça augmentait de jour en jour. J’étais très embarrassée au début, me demandant comment ça allait tourner, est-ce que je devais repartir ? Je le lui ai dit et il m’a rassuré en me disant qu’il disait ce qu’il ressentait mais avait compris que ce n’était pas réciproque et qu’il n’y avait pas de problème : il appréciait que je le respecte et voulait que je reste parce que ma présence le rendait heureux, un point c’est tout. Alors je suis restée et il n’y a pas eu de problème, à part mon embarras d’être à nouveau ainsi considérée. Décidément j’avais un ticket avec les hommes du Connemara.
Le dernier soir, un vendredi, nous sommes allés au pub du village où il y a une session musique et danse tous comme tous les vendredi de l’année. J’étais impressionnée. Par la convivialité et la sympathie de cette soirée qui, encore une fois en toute simplicité, était vraiment joyeuse et chaleureuse. J’ai pensé à mon père avec qui j’ai souvent discuté des endroits qui n’existaient pas chez nous et qui pourtant permettraient aux gens de tout âge de passer du temps ensemble pour discuter et s’amuser (genre les anciennes guinguettes) : j’avais ça ici sous mes yeux. J’ai aussi découvert la country irlandaise qui ressemble à la country américaine (peut-être parce qu’elle vient des immigrés irlandais?) mais en plus cool et plus gaie.

[youtube https://youtu.be/R-6g6hSryqU&w=700&h=420]

Vidéo d’une danse country irlandaise au Joyces bar, Cleggan

Colm a bu 6-7 pintes, je me demandais si son comportement allait changer alors j’avais la loupiote un peu allumée, mais tout s’est passé normalement, il n’a pas dévié d’un pouce. J’ai juste dû conduire au retour au cas où la police soit sur la route mais ça m’a amusée de conduire à gauche avec le volant à droite. Colm a été très grand consommateur d’alcool, comme beaucoup d’irlandais, mais il a eu un accident de voiture et maintenant il ne boit plus, ça l’a guérit de l’alcoolisme. Normalement ce n’est pas possible de guérir de l’alcoolisme, je l’ai bien compris en l’étant moi-même et en faisant le travail de divorcer de l’alcool et de toutes les idées qui s’y collent. Mais Colm est le deuxième cas que je connais à qui s’est arrivé ; je l’ai moi-même observé. Il boit le vendredi soir, sans avoir les pensées rivées sur cette soirée pendant la semaine. Ca lui arrive de boire quelques bières pendant la semaine avec un ami mais il ne dépasse plus la limite de la démesure.
Personnellement je n’ai même pas envie de re-essayer, plus le goût à ça, et ce serait beaucoup trop risqué pour moi.
En tout cas je remercie vraiment cet homme pour son accueil, sa générosité, son ouverture d’esprit et sa simplicité. Il a été ravi quand je lui ai donné la carte routière de 1982. Et puis je lui ai offert un petit vitrail fait main que j’avais acheté à Cliften. J’offre toujours un petit quelque chose à mes hôtes, comme je peux ; il y a toujours au moins une tablette de chocolat en tout cas.

Côte près de Cleggan

J’ai quitté la maison de Colm le samedi 12 août au matin, direction l’est de l’Irlande. J’avais réservé une place sur un ferry allant de Rosslare à Pembroke (Pays de Galles) le mardi suivant. J’ai tendu le pouce à la sortie du village avec pour premier objectif Galway que j’ai atteint 3h plus tard grâce à un jeune couple jaloux de mon voyage, un père et son fils allant faire des courses, un marin pêcheur travaillant dur avec écrit bière sur le front (au figuré hein, pas en vrai) et une bourgeoise de Dublin qui avait passé la semaine précédente à Concarneau (sud du Finistère français pour ceux qui ne connaitraient pas) où son fils prenait des cours de voile.
Arrivée à Galway j’ai eu envie de faire une pause des rencontres et de me retrouver avec moi-même. J’ai pris un bus jusqu’à Limerick, puis un autre jusqu’à Waterford où j’ai débarquée à 20h dans une auberge de jeunesse. J’avais un article à finir, je prend du retard avec le blog. J’ai alors décidé d’aller me réfugier directement dans un B&B à Rosslare, pas loin du port, pour passer mes deux dernières nuits en Irlande devenue bien pluvieuse et grise. J’ai rédigé, posté, envoyé des courriels en retard, pris des rendez-vous avec des futurs hôtes en Couchsurfing, fais un peu le point.

Voila, c’était bon, j’étais prête pour retourner au Royaume Uni et marcher pour la première fois au Pays de Galles. J’avais un peu d’appréhension de quitter l’Irlande où je me sentais vraiment bien et d’entrer dans un nouveau pays. Mais mon voyage est là pour m’aider à gommer les appréhensions inutiles.

L’Irlande est pour le moment mon meilleur souvenir.

Vestige d’une tour napoléonienne (il est venu aider les irlandais contre les anglais)

Baie de Cleggan

Joyces bar, un vendredi soir

Aurevoir