Au fil des gens

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J’ai quitté Børselv le 3 juillet, après un séjour d’un mois. Direction Oslo, à 1340 km au sud ouest. Peu de routes dans un décor découpé, mais je n’avais pas envie de prendre l’avion. Ca casse le voyage. Ca casse le temps. Et j’avais vraiment envie de voir le paysage.
Première étape : Alta, à 3h de route de Børselv. Pas trop long, j’ai donc tenté l’auto-stop. Génial. Difficile au début, la 6ème voiture s’est arrêtée, soit plus d’une heure d’attente, et c’était Bjørnar qui avait une course à faire en ville :-D. Mais ensuite ça s’est bien enchainé et je suis arrivée à bon port en 5h avec 4 véhicules, le dernier étant un camping car hébergeant un vieux couple d’allemands parlant à peine l’anglais. Mais on a réussi à échanger quand même!

A Alta j’ai logé en AirBnB, je n’avais pas envie de couchsurfer. Besoin de me retrouver, de me rassembler après un mois de vie commune avec des personnes que je quittais. C’est une drôle de danse du voyage ça aussi ; rencontrer, aimer, quitter. Ca m’est assez facile. J’ai une capacité d’attachement limitée. Ce qui ne m’empêche d’aimer très profondément. Je ne met pas de lien de dépendance dans mon amour. A l’inverse, j’ai une peur immense de la dépendance. Ceci explique peut-être cela.
Le lendemain j’ai pris un car pour Trømso, appelée aussi « le petit Paris », je ne sais pas pourquoi. La ville est charmante, certes, mais elle m’a plus fait penser à une ville de western. Bizarre. Là j’ai logé en auberge de jeunesse.

Dictionnaire mural sur le mur de la cuisine du AirBnB à Alta (anglais puis norvégien/suédois/finlandais dans un ordre non identifié pour moi)

Le lendemain j’ai pris un car pour Narvick, puis un autre pour Fauske. Cette fois-ci j’étais assez rassemblée et j’ai été hébergée par Rita via le site Couchsurfing, chez qui j’ai aussi rencontré Max, un autre couchsurfer en tour du monde et venant de Nouvelle Calédonie.
Rita m’a laissée sa chambre, avec une couette et des draps propres ; il était impensable pour elle que je dorme dans mon sac de couchage. J’ai très bien dormi. Et les discussions à trois étaient très intéressantes.
Max voyage en auto-stop et a déjà traversé l’Asie et l’Europe de l’Est. Il est habitué à voyager. A 17ans, n’étant pas intéressé par les études au lycée il est parti tout seul sur la route. Et puis il est rentré et a passé son bac en candidat libre et il l’a eu. Il a alors fait des études d’anglais jusqu’à devenir prof. Et il a été prof. Mais il a commencé à s’ennuyer dans cette vie là, sur son île. Alors il est reparti. Il se nourrit essentiellement en pratiquant le dumpster diving, expression peu reluisante puisque traduit littéralement il pratique la plongée dans les bennes à ordures. Bon, vous l’aurez compris, il récupère les bons produits jetés malgré tout à la poubelle par les magasins. Et nous sommes d’ailleurs parti tous les trois le soir à 23h, après la fermeture des supermarchés, examiner les bennes de la ville. Et bien j’avoue que ça en vaut la peine. Même en fruits et légumes on a trouvé de bons trucs. Il y avait même du chocolat. Beaucoup de gens pratiquent la récupération d’aliments consommables dans les poubelles. 40% de ce que nous produisons dans le monde est jeté purement et simplement. Plus qu’il n’en faut pour nourrir tout le monde. Il y a plusieurs sites renseignant sur les bons tuyaux, les choses à savoir dans telle ou telle ville, comme par exemple Trashwiki ; une mine d’or.

Max et Rita

J’ai bien aimé mettre un pied dans ce monde du stop et du freefood. Les personnes voyageant ainsi ont un espace de liberté encore plus grand. Il m’a aussi raconté que s’il se retrouve bloqué quelque part le soir il fait du porte à porte pour raconter son voyage et demander s’il n’y aurait pas une place pour la nuit. Et ça marche. Ceci dit si ça ne marche pas il a une tente. Je n’ai pas de tente mais ça me tente (hahaha), parce que là est la vraie aventure et la vraie rencontre, non programmée. Là on est vraiment présent à ce qu’il se passe, en alerte, vivant.
Car comme je l’ai déjà dit à certains qui trouvaient que j’avais du cran, et bien pas du tout. Passés les premiers dépaysements du début, ma vie de voyageuse reste aussi facile que de prendre le bus et d’envoyer des mails pour prendre rendez-vous dans un lieu qui m’accepterait à l’avance (via couchsurfing ou workaway). Très facile d’être en pilotage automatique et dans un certain confort, finalement.
Et depuis Oslo j’ai quand même l’impression de m’ennuyer.
Ah oui, c’est vrai, je ne suis pas encore arrivée à Oslo, j’en était à Fauske.

Arbres avec un cache-nez dans la forêt de Fauske

A Fauske j’ai pris le train de nuit le lendemain de mon arrivée. Ca m’a laissé le temps de faire une longue balade sur une colline, c’était beau. Le train de nuit a aussi traversé de beaux paysages. Mais pas facile de dormir, surtout que la nuit n’était toujours pas au rendez-vous. Heureusement que les sièges étaient équipés en couverture, bouchons d’oreilles et cache-yeux (comme dans les avions) : ça m’a aidé à sombrer quelques heures.
Changement de train vers 8h à Trondheim, pour arriver à Oslo vers 15h40. Un total de 17h dans le train, j’étais contente que ça finisse. Et contente de traverser Oslo à pied pour rejoindre le port où j’avais un ferry à prendre, puis un bus. Nina est venue me chercher à l’arrêt de bus et j’ai pris connaissance du lieu où j’allais rester 2 semaines, en workaway.

Il s’agissait d’une sorte de lotissement de cabanes dans la forêt. Des cabanes très améliorées, habitables, avec tout le confort. Là-bas ils appellent ça des cabins (en anglais). Les photos vous montrent de quoi ça à l’air.

Terrasse de Nina

J’ai adoré. Quand je serai grande je me verrai bien dans un home comme ça, en pleine Nature, terrasse avec vue sur les arbres, voisins pas trop près. En l’occurrence il s’agissait de voisines. Un petit groupe de voisines sympas qui ont fait connaissance et qui se partage un workaway de temps en temps pour les aider dans diverses tâches.
J’étais logée dans une caravane et je n’avais pas grand chose à faire. Je tombée dans une période où elles n’étaient pas très motivées, ou avaient autre chose à faire, ou il pleuvait, etc. J’étais un peu perdue au début, me demandant si j’allais rester parce que je prenais aussi mes repas seule (elles me fournissaient en nourriture, bio et végétarienne) et que le premier magasin était à 1h à pied, Oslo à 1h en bus et ferry à partir du magasin.


Autres voisins de la caravane

Cabine de Nina

Ca c’est arrangé quand j’ai trouvé le vélo : ça fait du bien de pédaler, et puis j’ai pu m’acheter des légumes (je n’en avais pas trop, ça me manquait), et aller à Oslo une journée. J’ai pris mon rythme et me suis beaucoup reposée.
J’étais aussi contente de partir.
Contente de quitter la Norvège.
Ca faisait plus d’un mois et demi que j’y étais et si les norvégiens sont sympas ils ne sont pas très marrant, pas du tout éclectique ni fantaisiste ni excentrique. Ils sont homogènes et bien rangés, pas une idée où un fou rire qui dépasse. Oui je caricature mais c’est pour donner une idée de mon impression et de l’appel du cœur que j’avais en pensant à la Grande Bretagne, le contraire de tout ça.

Et j’ai pris l’avion pour Edimbourg le 20 juillet. Le bonheur. Et le bonheur aussi d’y atterrir, l’inondation de joie de descendre du car venant de l’aéroport et de marcher dans les rues. Ca fait du bien de retrouver la Grande Bretagne, et je suis plus que ravie de découvrir l’Ecosse et les écossais. Encore une fois : j’adore.

Une rue à Edimbourg

Dans cette continuité, la personne que j’avais contactée pour du Couchsurfing m’avait répondue devoir s’absenter pour une semaine mais qu’elle pouvait me laisser les clefs quelque part. Pas croyable. J’ai eu un studio au centre ville pour moi toute seule pendant 3 jours. La vie est quand même formidable, quand on la provoque elle peut devenir magique. J’ai pas mal échangé avec mon hôte par Whatsapp (application du téléphone qui permet de téléphoner et envoyer des messages gratuitement en utilisant internet : il faut être en mode WIFI) et comme il voyage pas mal il m’a promis qu’on se rencontrera ailleurs dans le monde ; c’est vrai que ça serait drôle.
J’ai beaucoup aimé Edimbourg, j’ai marché beaucoup, j’ai suivi une visite guidée sur les traces de JK Rowling et Harry Potter (j’ai rien compris mais j’ai vu des trucs), j’ai visité un magasin bio (je coche les magasins bio que je peux) et j’ai manger des ice creams.

Dans la vieille ville d’Edimbourg par une journée pluvieuse

Et puis j’ai pris un train pour Lockerbie. Oui je sais, le nom me disait quelque chose alors j’ai regardé sur internet les photos de la ville et j’ai vu et me suis souvenue (là j’imagine ceux qui se disent : quoi? souvenue de quoi? je ne connais pas, etc. Je vous laisse chercher).

A Lockerbie c’est Sophie qui est venue me chercher. Quand je l’ai vue j’ai su de suite que j’allais l’aimer. Et puis on a fait la route jusqu’à Boreland, la voiture a grimpé une colline, est entrée dans un chemin, puis une allée, puis s’est garée devant une grande maison à la peinture un peu délabrée. Ca sentait déjà bon, mais dés que je suis entrée dans la cuisine j’ai su que je n’étais pas chez des moldus mais dans un lieu pas comme les autres. Et toujours en Ecosse.

La maison est très grande, sur deux étages, et date du 19ème je pense. Pour Sophie elle est normale, à la bonne taille pour sa famille de 7 enfants. Ils sont grands maintenant, mais passent régulièrement avec leur propres enfants. Sophie va avoir 70 ans, elle a 5 filles et 2 fils, son plus jeune enfant a 21 ans, elle a 6 petits fils et 1 petite fille. Son mari est décédé il y a 2 ans.


Vue depuis la bibliothèque de Sophie

C’est une famille d’artistes, comme ils le disent eux-même, mais avec un intérêt pour un peu de tout. La science, la politique, la sociologie, la théologie, l’écologie, l’économie, etc. La bibliothèque est très bien fournie et très éclectique.
J’ai croisé un de ses fils à la gare en arrivant et au quotidien je côtoie une de ses filles qui vit ici avec ses deux fils de 2 et 6 ans, le temps de trouver une maison sur Edimbourg. Son mari est là le week-end seulement, travaillant à Edimbourg pendant la semaine.
Quand je suis arrivée il y avait 2 workaways sur le départ, deux sœurs françaises venues passer 15 jours ici. Une autre workaway française est arrivée le même jour que moi mais pour 4 jours seulement. Le premier soir nous étions donc 4 françaises à une table de 7 personnes. C’est l’année des français il paraît, l’année dernière ils ont surtout reçu surtout des espagnols.


Dame du jardin de Sophie

Je me plaît beaucoup ici. Ok, l’Ecosse. Et puis cette grande maison rassurante, la cuisine de Sophie, la grande chambre confortable avec couette, les discussions intéressantes avec des gens en réflexion vraiment profonde.
Le terrain doit faire dans les 2 hectares. Une toute petite partie est en potager clôturé pour le protéger des lapins. L’ensemble du terrain est clôturé pour le protéger des chevreuils et des moutons du voisin. Il y a plusieurs années ils ont planté des arbres sur une bonne partie en vue de les cultiver pour en vendre les coupes plus tard mais avant tout pour augmenter la biodiversité du lieu. Sophie pense aux abeilles, aux oiseaux et aux plantes sauvages comestibles. Elle collecte des fleurs sauvages mellifères pour les semer en divers endroits de son terrain, réfléchissant aux différentes variétés pour étaler les floraisons sur l’année pour que les abeilles et bourdons ne soient pas dépourvus à un moment donné. Elle favorise les plantes sauvages comestibles, comme une sorte de conservatoire d’espèces et d’ADN, aussi comme une réserve en cas d’apocalypse mondiale. Les arbres attirent des oiseaux qui n’étaient pas là avant.
Sophie crée, au sens artistique du terme et avec ses connaissances scientifiques non négligeables. Je retrouve ici mon état d’esprit sur ma ferme maraîchère les deux dernières années, quand je laissais aussi place à m’amuser avec les plantations et l’aménagement. Quand je pouvais planter un chou dans le talus et laisser des orties au milieu des choux. Quand j’ai fait le verger en demi-cercle et l’espace interdit aux humains.

Moutons au village de Boreland, qui n’a aucun commerce mais une église, un cimetière et une école de 16 élèves

Je ne vais rester que deux semaines à Boreland, c’est un temps suffisant dans mon long voyage. Je suis restée trop longtemps au Finnmark. J’aime m’arrêter pour faire ces belles rencontres que j’ai eu la chance de faire et connaître un peu mieux les vies locales. Mais j’aime aussi bouger, voyager, traverser les espaces. Un mois c’est trop ou pas assez. Je pense que je referai des longs séjours dans les pays du sud, dont je connais moins la culture et qui ont encore plus besoin d’aide, pour des questions de survie. C’est mon a priori en tout cas, je verrai.
Comme je l’ai dit plus haut il y a aussi une sorte de routine confortable qui s’installe dans mon voyage et je n’aime pas. Je commence à m’ennuyer. Ca peut paraître bizarre. Je suis visite, sans date buttoir, dans un vide d’impératif extérieur, sans logement ni métier à retrouver plus tard. Une nomade au sens large, qui commence à s’habituer à sa routine.

 

Entrée de la bibliothèque universitaire d’Edimbourg

Je quitterai Boreland le 5 août, pour une fois je n’ai aucun plan pour la suite pour le moment, hormis celui d’être à Gibraltar mi-septembre. J’ai trouvé un bon bateau pour traverser l’Atlantique à la voile. J’embarquerai comme équipière avec 5 autres personnes qui m’ont l’air bien intéressantes dont un bon skipper. J’ai hâte, vraiment hâte de cette aventure.
D’ici là, j’ai bien envie de changer de formule. De partir en auto-stop sans savoir où je dormirai le soir-même. Sortir de ma zone de confort et passer un autre cran dans la confiance en l’inconnu. Ca me fait peur, mais ça me réveille, ça me rend vivante, en alerte. Ca me fait à nouveau entrer en zone d’apprentissage.
J’ai un très bon souvenir de mon trajet en auto-stop entre Børselv et Alta. J’avais peur également, même si je savais où j’allais dormir le soir ; la question était est-ce que j’allais pouvoir atteindre ce lieu? Et devant les difficultés du début je me suis vraiment interrogée. Mais les rencontres faites, la gentillesse des gens et les discussions sympas que j’ai pu avoir m’ont mise dans un état de joie vivante assez délicieuse.
Maintenant la peur/trac est encore là, surtout pour la question du couchage. Si je ne le fais pas maintenant ce sera plus tard, mais j’aimerais que ça soit maintenant.

Un saut dans le vide à faire, pour sentir ce filet invisible qui me rattrape tout le temps et m’émerveille de la magie de la vie.

Oeuvre d’art à Oslo