Norvégiens, Samis, Kvènes et quelques visiteurs

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Je voudrais vous présenter les personnes que j’ai rencontrées et côtoyées à Børselv.

Tout d’abord, bien sûr, Birgitta et Randolf, le couple qui m’a accueillie. Ils ont respectivement 71 et 81 ans et sont mariés depuis 25 ans.
Birgitta est à la retraite depuis 4 ans, car en Norvège il faut travailler jusqu’à 67 ans avant d’avoir les allocations. Pendant 20 ans elle a tenu une boutique de produits de santé naturelle. Auparavant je ne sais pas ce qu’elle a fait, mais elle a beaucoup voyagé, depuis son enfance. Comme elle dit, elle ne se sent pas de racine. Ses parents sont allés vivre aux Etats Unis quand elle avait 3 ans. Là-bas ils bougeaient tout le temps ; elle a aussi vécu au Canada. Elle a fini ses études en Californie, dans une école pour étudiants venant de tous les pays ; elle m’a parlée de vieilles amies chinoises avec qui elle est toujours en contact depuis ce temps. Ensuite elle a séjourné au moins 2 ans au Danemark. Elle a passé plusieurs année en Suède également. Une vraie internationale, ouverte sur le monde depuis toute petite. Sa passion à présent c’est son jardin ; produire des légumes de qualité, diversifiés. Les vêtements, les sorties, socialiser ne l’intéresse pas. Elle le fait pourtant, au moins sur internet et à petite échelle à Børselv, mais elle a besoin de sa bulle pour se donner à ses projets. Ca me fait penser à quelqu’un.

Je parle de son jardin dans un autre article : ICI.

Birgitta et Randolf à Hammerfest

Randolf pourrait être l’opposé. C’est un Sami, l’ethnie native du nord de l’Europe, traditionnellement éleveuse de rennes, un peu pêcheuse aussi, selon les régions. Parce que, si on y regarde de plus près, il y a aussi plusieurs groupes de Samis avec des modes de vie et cultures différentes. Randolf est un sami de la côte, il vient d’un petit village au nord d’Hammerfest que l’on ne peut joindre qu’en bateau. Initialement c’était d’ailleurs un des principaux moyen de transport des norvégiens : le bateau par la côte, les traineaux de chiens ou de rennes par les terres. La majorité des routes ont été construites par les allemands pendant la 2nde guerre mondiale. Ils en parlent encore de cette guerre là. Particulièrement Randolf.

L’occupation allemande a été très difficile, mais leur départ face à l’arrivée de l’armée russe l’a été encore plus : ils ont tout brûlé. Les maisons, les récoltes, les réserves, tués les animaux ; il ne restait rien derrière eux. Leur but était de ralentir les russes avec une absence d’abris et de nourriture dans cet espace très rude. Imaginez le désarroi et la détresse des populations. Les gens se réfugiaient dans les montagnes, cherchaient des abris naturels et survivaient tant bien que mal, où mourraient. Randolf avait 9 ans, il a perdu 3 frères dans la même semaine, emportés par la dysenterie. Il est marqué par cette période et la violence des soldats allemands.

Randolf au jardin

Malheureusement je n’ai pas appris le norvégien et encore moins le Sami, alors je n’ai pas pu avoir de vraie discussion avec Randolf qui lui ne parle pas anglais. J’ai juste eu des bouts, traduits par l’entourage. Quelque fois il venait vers moi et me racontait plein de trucs que je ne comprenais pas, où devinais à peine. J’aimais bien le regarder raconter en entendant la langue norvégienne que je trouve très chantante avec une complexité de sons assez fabuleuse. En fait il oubliait régulièrement que je ne parle pas le norvégien. Quelque fois il oubliait m’avoir déjà vue, il fallait refaire les présentations. Il a un début démence, on ne sait pas ce que c’est exactement encore parce que comme il n’a pas passé le stade de reconnaître qu’il perd la boule et bien il n’a pas encore consulté pour cela. Birgitta s’en ai rendu compte il y a un an seulement, mais à l’entendre ça a pas mal évolué depuis. Du moins pour tout ce qui est mémoire à court terme. Un jour j’ai du lui montré où était le tiroir à couverts dans la cuisine, il cherchait un couteau dans tous les placards. Pour les vieilles histoires il se souvient bien, et on pourrait écrire des livres avec ce qu’il a à raconter. Il a fait tellement de métiers. J’ai entendu parlé de son séjour de 3 ans à Svalbard, une île très au nord, connue pour sa rudesse et ses ours blancs. Il y a travaillé dans les mines. Il rigolait en disant qu’il était tout le temps noir. Là-bas, il ne fallait pas sortir sans un fusil au cas où un ours blanc passerait par là. Il a perdu plusieurs amis tués par des ours. Il a aussi travaillé pour un éleveur de rennes, il rigolait en imitant le geste du lancé de laceau pour attraper une bête. Il a aussi été marin pêcheur, agent dans la police des rennes (service gérant les problèmes entre éleveurs et avec la population non Sami ; à ce sujet, lire les polars d’Olivier Truc dont le personnage principal travaille dans cette police des rennes à Hammerfest).

Randolf, Birgitta et Sophie, revenant d’une rencontre avec les trolls

Randolf ne faisait pas grand chose, entre oubli, manque d’intérêt et faible capacité physique (quoique, il m’a bien étonnée aussi) il passait son temps à regarder par la fenêtre, nous regarder travailler, apporter des arrosoirs d’eau, dormir, manger du pain et boire des infusions très sucrées. Mais il arrivait toujours à glisser de l’humour par-ci par-là, à faire une petite blague et ses yeux pétillait.

Quelques jours après mon arrivée j’ai déménagé pour aller vivre chez Irène, parce que Birgitta allait recevoir le frère d’une amie albanaise qui avait besoin de travailler ; il allait repeindre la maison. Mickel est donc arrivé, un peu surpris de se retrouver dans un coin aussi perdu, sans aucune animation pas même un café (ceci dit, avec la belle saison la supérette COOP offre le café et la discussion pour qui veut s’assoir un moment dehors). Il m’a parlé un peu de son pays où il est très difficile de trouver un travail. Le salaire minimum est de 180/mois, avec des loyers de 150/mois : avoir et être en famille est primordial pour eux, pour grouper les frais et les gains. Il avait du mal à comprendre que je parte voyager comme ça, seule, au lieu de chercher à m’ancrer au contraire, avoir une famille. En Albanie il travaillait pour la télévision, tournant des émissions éducatives pour enfants. Ca lui plaisait bien mais apparemment ce n’était pas stable ni permanent. Il est venu visiter sa sœur qui vit à Alta (avec son époux norvégien et leur tout jeune enfant) et qui est une bonne amie à Birgitta, du temps où elle tenait sa boutique là-bas. Il avait le visa touriste, valable 3 mois, il est reparti en Albanie le 27 juin.

Mickel en menuisier

Chez Irène j’avais une autre mission : nettoyer et peindre un petit local de 2 pièces en vue de faire une petite boutique locale ouverte un jour par semaine. C’est un projet entre Birgitta, Irène et Svanhilt. Elles y vendraient des surplus de production, des produits de santé naturelle, des objets en tout genre comme dans une friperie/antiquité. Irène habite à 30 min de marche de chez Birgitta, ce que j’appréciais car j’ai besoin de me bouger un minimum, de prendre l’air, de sentir le vent. Mon temps était donc partagé entre le ponçage, nettoyage, peinture chez Irène et le jardinage, bricolage chez Birgitta.
Irène est aussi une Sami. Elle a grandi sur l’ile Sørøya où sa famille a encore la maison d’été de ses parents dans la montagne ; elle trépigne d’y aller bientôt pendant l’été. Elle a plusieurs frères et sœurs mais je ne sais pas combien vivent encore sur l’île. Elle adore son île et est très nostalgique de son enfance sami là-bas : libre dans la Nature, à pêcher, ramasser les myrtilles et les plaquebières (cloudberries). Irène n’est arrivée à Børselv que depuis 8 mois ; auparavant elle vivait dans le sud de la Norvège. Mais le Finnmark coule dans son sang et son regard. Beaucoup d’amertume aussi dans ses yeux. Amertume des souffrances de son enfance et du peuple Sami en général. Comme toutes les minorités c’est un peuple qui a été détruit dans sa culture et son identité. On a brûlé les objets, interdit des pratiques, tué ou déporté des milliers de gens. Irène enfant a connu la honte d’être sami, comme ma grand-mère a connu la honte d’être bretonne. Il était interdit de parler sami à l’école, les autres enfants la malmenaient, se moquaient d’elle, la frappaient parfois. Quand je lui demande pourquoi elle ne va pas vivre à Sørøya étant donné qu’elle adore son île elle me répond qu’elle ne veut pas avoir à faire avec ses mêmes personnes devenues adultes.

Irène souriante, au cours d’une balade par une soirée estivale

Alors elle attend d’avoir des congés suffisamment longs pour rejoindre sa montagne insulaire et vivre à son rythme avec son chien, des moutons et des poules, en allant à la pêche et en ramassant les baies sauvages. A Børselv elle travaille dans une petite maison de retraite. Ca ne lui plait pas non plus, car comme ce que je connais de ces établissements en France c’est ici la même chose : beaucoup à faire, pas le temps de vraiment parler avec les résidents qui se retrouvent objétisés.

Chez Irène j’ai aussi rencontré sa nièce Sølveig, qui à 22 ans cherche un travail mais passe ses journée dans sa chambre sans participer à aucune discussion ni donner un coup de main. Je pense qu’elle s’ennuie à Børselv. Contrairement aux autres membres de sa famille elle n’est pas attachée à la culture Sami et n’en parle pas la langue (mais la comprend). Elle aime la mode, plus particulièrement les robes des années 50 qu’elle trouve très élégantes. Elle n’a pas tort.

 

Irène et Sølveig devant un feu de camp/barbecue au bord du fjord Porsanger


Et puis j’ai un peu travaillé chez Svanhilt et Bjørnar. Un couple très sympathique, originaire de Børselv mais qui s’y est installé que depuis 3-4 ans seulement. Ils ont repris la maison familiale de Bjørnar, une petite ferme, et le troupeau de mouton d’une voisine. Les moutons se reproduisent et ils sont à présent plus d’une 100ne. Ils ont beaucoup à faire et ont besoin d’aide en permanence. Ils ont lancé cette activité sans avoir beaucoup de fonds et comme pour le moment ça ne rapporte rien il faut jongler. La plupart des WWOOFers logent et travaillent chez eux pour au moins 35h/sem, le maximum que l’on peut demander normalement à un WWOOFer. Svanhilt et Bjørnar ont eu plusieurs activités auparavant, je n’ai pas tout recensé. Svanhilt a au moins travaillé dans une clinique de santé naturelle et a été coiffeuse. Bjørnar a également travaillé dans la même clinique, a été musicien dans un groupe pendant quelques années (les 70’s), en ce moment il est également salarié pour s’occuper de temps en temps d’un enfant autiste et épileptique. Tous les deux ont été à l’université et ont apparemment étudié les sciences humaines (sociologie, anthropologie, etc).

 

Svanhilt, Bjørnar et Hanae après un déjeuner de saumon sauvage (Svanhilt est très bonne cuisinière)


Originaires de Børselv ils sont aussi kvènes. On ne peut pas parler ici d’ethnie, mais d’un peuple avec une langue et une culture. Les kvènes sont des agriculteurs, surtout éleveurs de moutons. Ce peuple est issu de migrants finnois arrivés au Finnmark entre le 17ème et le 19ème siècle. Toujours est-il que j’ai aussi senti une amertume chez eux, surtout chez Svanhilt. Parce que, si être Sami est aujourd’hui très en vogue depuis qu’ils ont été reconnus (notamment par l’ONU) (ils ont aussi leur propre parlement avec qui l’état norvégien discute avant toute décision concernant leur territoire), les kvènes n’ont eux aucune reconnaissance ni aide pour faire survivre leur culture et leurs activités (notamment de petits fermiers entretenant le territoire), même s’ils ont aussi été persécutés pour être assimilés au peuple norvégien.

Alors il y a des querelles identitaires et territoriales, notamment pour les pâtures : quand les rennes vont où bon leur semble ils peuvent grignoter les espaces prévus pour les moutons. Même dans des régions à 2 habitants/km2 les humains trouvent le moyen de se bousculer.

 

Ferme de Svanhilt et Bjørnar (photo par Sophie)


Et pourtant plusieurs choses regroupent ces personnes que j’ai rencontré, et elles bâtissent des projets en commun. Chacune connaissait les autres avant de venir s’installer à Børselv. Un point commun qui est peut-être la base, la source de leurs rencontre est qu’elles sont toutes adventistes. Je ne connaissais pas cette pratique du christianisme et j’ai discuté plusieurs fois à ce sujet avec Birgitta qui l’est depuis son enfance. Irene aussi, bien que d’une famille Sami vivant sur une île du grand nord, est adventiste depuis son enfance. La Norvège est principalement luthérienne et ça ne fait pas si longtemps que l’église est séparée de l’état. Mais comme partout toutes les religions sont présentes et les adventistes semblent être assez nombreux, de plus en plus nombreux dans le monde en général d’après Birgitta.

Si j’ai bien compris, le principe est de lire la bible et de ne se tenir qu’à la bible. Il n’y a aucun clergé, aucune messe ni rituel particulier hormis le baptême je pense. Le dimanche ne veut rien dire pour eux ; le jour de repos est le samedi, Sabbath. Ce jour-là Birgitta accueille qui veut (en général Randolf, Irène et Svanhilt sont présents) pour discuter/échanger autour de passages de la bible. L’occasion de croiser les interprétations et les applications dans la vie quotidienne. Ensuite elle préparait un repas que l’on prenait tous ensemble (Bjørnar nous rejoignait). Avant de commencer le repas ils font une prière pour remercier. Un autre point important, que je n’ai pas creusé, est la croyance au retour du christ, imminent (entre nous : c’est pour cette année), et qu’à partir de là les choses vont vraiment changer. Apparemment il y a une description des signes précurseurs de cet événement dans la bible et ces signes se concrétisent un peu partout actuellement. Leurs discussions concernent donc aussi le comportement à avoir, les choses à faire face à cet événement. Les adventistes sont très tolérants car ils considèrent que seul Dieu peut juger qui que ce soit ; chacun doit s’atteler à faire de son mieux, chacun est libre de ses choix (considérant qu’il en assume les conséquences).

 

Trois wwoofers en balade


Quand je suis arrivée à Børselv il y avait une WWOOfeuse chez Svanhilt et Bjørnar : Sophie, une française qui va de ferme en ferme pour WWOOfer en France et en Europe depuis un an et demi. Elle est restée un mois à
Børselv où elle a eu (entre autres choses) à s’occuper des jeunes agneaux, en leur donnant le biberon matin et soir. En juillet elle sera en Finistère 🙂 La veille de son départ deux WWOOFers sont arrivés pour la remplacer : Anton, un suédois de 22 ans et Hanae, une autre française ! Nous avons fait une belle balade un dimanche tous les quatre.

Antone, Hanae, Sophie, Maryvonne


En juillet il n’y aura personne pour aider Birgitta, Svanhilt et Bjørnar. Je leur ai conseillé de mettre une annonce aussi sur le site Workaway. Ca vaut le coup d’aller les rencontrer et de découvrir ce bout de grand nord.

Merci à vous tous pour votre accueil, vos histoires, votre gentillesse. Bon courage et bon vent à vos projets.

Peut-être que je reviendrai pour voir la neige et les aurores boréales (qui commence dés que la nuit revient, fin août).

Peut-être…

Un peu de rab d’images :

Le vélo d’Irene, qui m’a bien servi

 

Hanae et Sophie

 

WWOOFer anonyme protégeant les moutons

 

La supérette COOP de Børselv, au lieu commercial
Chez Irène